Un dinosaure en or
Il a été mis aux enchères à 950 000 euros. Les prix sont montés jusqu’à 1 150 000 euros. Deux enchérisseurs se le disputaient au téléphone. La vente, organisée par la maison Aguttes, s’est tenue à l’InterContinental Paris Le Grand où il est resté exposé, au vu et au su de tous, pendant une semaine. Tel aura été le sort de Skinny ces derniers jours.
Découvert en 2012 dans le désert du Wyoming, aux États-Unis, ce dinosaure jusqu’à présent inconnu au bataillon des paléontologues, mesure non moins de treize mètres de long et huit mètres de haut (socle compris). C’est la société marseillaise Paleomoove Laboratory, une référence dans le domaine, qui s’est chargée de le monter sous la verrière du palace parisien. Un puzzle de cent cinquante os assemblés en une nuit ! D’un corps massif, d’une tête minuscule, il doit à son cou interminable son affiliation au Diplodocus, herbivore ayant vécu il y a environ cent cinquante millions d’années.
C’est un spécimen totalement nouveau ! Un nom scientifique lui sera bientôt attribué. En attendant, il a été baptisé Skinny, en raison des fragments de peau (skin, en anglais) retrouvés sur son squelette. Fait tout à fait étonnant, étant donné que cette matière fine et délicate n’est pas propice à la fossilisation. 90% de ses os sont d’origine. Autant dire que son état de préservation s’avère hors du commun. Que son crâne ait subsisté à 70% ait tout aussi admirable. Une tête de si petite taille (40 cm environ) aurait dû être engloutie par quelque prédateur, sinon l’érosion. Autant de sources d’émerveillement qui font de cette espèce inédite un cas d’étude précieux.
Le destin de Skinny n’est pas le seul à avoir été scellé par un coup de marteau. Le marché de l’art a vu défiler d’autres dinosaures avant lui. Sotheby’s New York est l’une des premières maisons de ventes à se tourner vers la Préhistoire. En 1997, elle adjuge pour 8,4 millions de dollars un Tyrannosaurus rex (13 m x 4 m) nommé Sue au Field Museum de Chicago. Le voilà, le record à battre. Quant à la première vente française, c’est Christie’s Paris qui la chapeaute, en avril 2008. Et un riche Américain d’y acheter un Tricératops entier pour la modeste somme de 592 000 euros, avant d’en faire don au Museum of Science de Boston.
La fascination que suscitent ces créatures quasi mythologiques n’a rien surprenant. Mais quelle idée de les collectionner ! Aux célébrités qui ont l’impression, ce faisant, de retomber en enfance, répondent des artistes en panne d’inspiration, ou encore des dirigeants d’entreprise consciencieux prêts à participer aux progrès de la science. Parmi les stars, Leonardo DiCaprio apparaît comme le plus mordu. En 2007, cet amoureux de la planète, ami des bêtes, a vu un crâne de Tyrannosaurus bataar de 67 millions d’années lui passer sous le nez, au profit de Nicolas Cage. Comble de l’ironie : ce dernier, dont la bonne foi n’est nullement en cause aurait été contraint de retourner son bien à la Mongolie, où l’objet avait été volé. Jusqu’à l’an passé, Russel Crow était l’heureux propriétaire d’une tête de Mosasaurus (reptile marin dans la nature il y a entre 70 et 65 millions d’années) ayant appartenu à nul autre que DiCaprio.
Les mammouths, qui ne sont pas à proprement parler des dinosaures, déchaînent tout autant les passions. Le plus connu trône aujourd’hui dans une cage en verre sur la plage du Faena Miami Beach. Le propriétaire de ce prestigieux cinq étoiles, Leonard Blavatnik, aurait dépensé onze millions d’euros pour l’avoir, sachant que le plasticien britannique Damien Hirst avait préalablement recouvert l’animal de feuilles d’or. Dire qu’en 2007, la bête ne coûtait que 312 000 euros chez Christie’s.
Les scientifiques déplorent que pareils trésors ne s’entassent chez des particuliers. Heureusement pour eux, certains collectionneurs se mettent volontiers au service de la recherche. Même s’il conserve un T-Rex dans son salon, l’ex-dirigeant de Microsoft, Nathan Myrhvold, s’impose comme l’un des sponsors de dinosaures les plus dévoués au monde. Jack Horner, le paléontologue intervenu comme consultant sur le tournage du film Jurassic Park, l’a même convaincu de financer quelques unes de ses expéditions.
Autre exemple de générosité : la vente du 5 octobre 2010, la première que Sotheby’s consacrait à l’histoire naturelle en France, a donné lieu à un prêt et à une donation. La charpente d’allosaure (lézard géant, en grec ancien) cédée à un enchérisseur anonyme réside actuellement sur le campus universitaire de la société Novartis International à Bâle en Suisse. Quant au collectionneur français Gérard Reynaud, il a déboursé cent mille euros dans le seul but d’offrir un squelette de rhinocéros laineux à l’Institut de Paléontologie Humaine, Fondation Albert 1er de Monaco (Paris 13ème). Une chance pour la science !