ARTBO, un bol d’art frais
Qui l’eût cru ? Bogotá abrite elle aussi une foire d’art contemporain ! L’une des plus importantes d’Amérique latine ! Fondée en 2005 par la Chambre du Commerce de la ville, son originalité participe tant de son modèle économique que de son accrochage. Exit Perrotin, Mennour, Gladstone, Gagosian, chez qui l’on court, une fois franchi le seuil de la Fiac, de la Frieze, ou de Basel. ARTBO s’appréhende comme une balade en forêt, une grande respiration dans l’agenda suffoquant de la rentrée culturelle. Une impression que renforce la thématique rurale qui se dessine sur les cimaises du palais des congrès Corferias.
ARTBO présente un format unique, qui en fait une foire « rafraîchissante », pour reprendre l’expression de sa directrice María Paz Gaviria. Plateforme commerciale qui réunit une soixantaine de galeries – pas plus ! – elle sert également de vitrine aux artistes dépourvus de représentant. Une visibilité porteuse, à plus ou moins long terme, de liquidités. Pourquoi limiter le nombre d’exposants ? Parce que la qualité doit bien sûr primer la quantité. À l’origine d’un parcours à taille humaine, ce quota renforce, qui plus est, l’originalité de Bogotá sur la scène artistique mondiale.
Autre trait distinctif : ARTBO accueille beaucoup plus de galeries colombiennes que d’exposants étrangers. 20 sur 70, cette année. Cela fait partie de son charme. « Le paradoxe de la foire est qu’elle s’est internationalisée tout en gardant sa spécificité », poursuit María Paz Gaviria. À croire que sa valeur ajoutée, celle qui attire un public de plus en plus large à l’échelle mondiale, réside dans son identité nationale.
Connue comme l’une des villes les plus vertes d’Amérique latine, Bogotá se voit elle-même prise entre deux autres feux. « C’est cette tension entre ruralité et urbanité que je voulais explorer cette année », explique Beatriz López, l’une des directrices artistiques de la foire. D’où la végétalité de l’accrochage. Rien d’étonnant à ce que les galeries La Cometa et Aurora – avec des noms pareils ! – défendent des artistes tournés vers la nature ; dont Ricardo Cárdenas pour l’une, et John Nomesqui, pour l’autre. Du premier nous retiendrons un nuage jaune en acier qui, par sa matière, ressemble davantage à un buisson ardent. Qui s’y frotterait, s’y piquerait sûrement. Le second signe un tronc revêtu d’un manteau tricoté en papier, technique typique du plasticien qui invite le spectateur à un comportement écologique.
Qui dit chantier, dit généralement destruction de la flore à proximité. Ce que dénonce le stand Otros 360° à travers les œuvres d’Evelyn Tovar, personnellement pour le progrès, quoique sceptique quant à certaines méthodes employées pour y atteindre. Comment réconcilier nature et architecture ? Telle est la question que pose par exemple Euphorbia cyathophora, un tapis de découpe vert où l’artiste a gravé les courbes d’une plante en voie de disparition. Et que dire de Sheroanawë Hakihiiwë, le chouchou de la galerie ABRA Caracas ? Ce dessinateur vénézuélien travaille au fin fond de l’Amazonie, sur des papiers spécialement conçus pour lui, à partir de feuilles de plantains, entre autres. Sa série Dead Trees n’a rien de morbide, au contraire ! Elle figure des arbres noirs recouverts de points blancs, soit de champignons qui n’auraient jamais pu pousser si le sol alentour n’était pas viable. Comme quoi, l’espoir fait effectivement vivre.