The Savoy, l’hôtel londonien qui laisse sans voix
En longeant Strand Street, depuis Charing Cross vers la Somerset House (d’ouest en est), on tombe sur une petite rue sur la droite. Tout au bout de cette impasse, les lettres SAVOY surgissent en vert. Trois palmiers balisent cette entrée fondée en 1905, puisque le bâtiment original (1889) dudit établissement donne, lui, sur la Tamise. Les rondeurs et la taille des taxis londoniens garés devant confèrent un caractère nostalgique à la scène. On imagine Oscar Wilde, Charlie Chaplin, Maria Callas descendant de voiture, prêts à pénétrer le premier hôtel dit « de luxe » (deluxe hotel) de la capitale britannique. On le fait pour eux.
Ces grands noms, on les retrouve tout de suite à gauche, dans l’antichambre de l’American Bar, où les archivistes des lieux exposent régulièrement lettres, photos, et effets de personnalités ayant fréquenté le Savoy. Derrière ce musée privé, on applique des recettes compilées dans un livre devenu la « bible des barmen londoniens », parmi lesquelles le White Lady Cocktail (gin, triple sec, citron).
Pourquoi American Bar, d’ailleurs ? Ne sommes-nous pas en Angleterre ? Parce que les Etats-Unis sont les premiers à avoir eu l’idée de mélanger les alcools. Pour des boissons « plus européennes », alliant jus, liqueurs, sirops et spiritueux, rendez-vous au Beaufort Bar, « plus théâtral » dans l’âme. On n’est pas surpris d’apprendre alors que le fondateur du Savoy, Richard D’Oyly Carte, était un imprésario réputé et propriétaire de plusieurs théâtres dans les environs. Les rideaux font écho au piano où un artiste différent interprète, chaque soir, des titres de comédies musicales, des airs de swing, ou des classiques du répertoire anglophone. Les boissons sont mixées sur des chariots garnis de zestes d’orange, de glaçons, et d’épices contribuant à un service personnalisé de luxe. Il suffit d’une commande pour que le personnel retienne le nom et les goûts de chaque client.
À gauche en ressortant, la réception occupe une pièce à part entière. Ainsi les informations personnelles sur chacun, les requêtes des uns et des autres, sont maintenues confidentielles. Accolé à cet isoloir exclusif, une courte arcade sert de transition entre les styles Art Déco, côté rue, et édouardien, côté Tamise, de l’enseigne. Une poignée de marches en marbre blanc mènent tour à tour à un salon de thé-boutique, dont on peut voir les chefs préparer cupcakes et macarons, entre autres douceurs ; au « Foyer », salon augmenté d’un dôme et d’une verrière depuis la restauration menée par Pierre-Yves Rochon, en 2010 ; et enfin, au restaurant Kaspar.
Les motifs au sol évoquent des écailles. Les tronçons de glace suspendus au-dessus du comptoir circulaire central ressemblent à des poissons. On devine immédiatement la dominante du menu. Une question demeure : qui est Kaspar ? Un chat noir en chrome et résine que l’on asseyait aux tables de 13 personnes afin de conjurer les superstitions. Flanqué d’un bavoir, au même titre que les convives à rassurer, l’animal est devenu, au fil des années, la mascotte du Savoy : un buis taillé en forme de félin monte la garde à l’entrée, des statues à son effigie campent à côté de la conciergerie… Il ne lui manque plus que la parole.
Au troisième étage, le spa et sa piscine divisée en carrés de couleurs primaires, se préparent à une rénovation imminente. La saison est donc bien choisie pour en profiter. Dans l’ensemble, la décoration du Savoy est si chaleureuse que, plus les jours passent, plus le retour se veut difficile. Le faste des pierres précieuses (lustres Swarovski), dorures et moulures s’effacent devant la tendresse qu’apportent les tons pastel. Design chargé, donc, mais pas trop. Jamais l’on ne suffoque sous une tapisserie. On se sent presque chez soi, un chez soi royal. C’est pourquoi prendre l’Eurostar, même en première, où se succèdent plateaux repas, boissons, et serviettes rafraîchissantes, ne constitue plus une perspective aussi réjouissante qu’à aller. Partir pour mieux revenir, c’est ce que l’on se dit en appréciant les nombreux avantages distribués à bord.