Bruxelles entre Art Nouveau et Art Déco
Deux jours en Belgique, à arpenter les rues à l’affut des pépites artistiques qui habillent les façades de Bruxelles.
Beaucoup l’ignorent, mais Bruxelles est le berceau de l’Art Nouveau, mouvement artistique né en réaction à un boom démographique (de 98 000 habitants en 1830 à 500 000 en 1900) et à l’industrialisation du XIXe siècle. Beaucoup l’ignorent également, mais au XIXe siècle, Bruxelles était le deuxième pôle industriel d’Europe, derrière l’Angleterre. Le ton est lancé. Ces deux informations inaugurent la visite exclusive que l’on mène, sous la férule d’un expert, au cœur de la capitale de l’Union européenne. Autre style imprimé sur les façades des quartiers riches : l’Art Déco. Foin du froid ! Il faut parfois souffrir pour s’instruire.
La balade culturelle débute toutefois au chaud. Au sein de la Maison Horta, le père de l’Art Nouveau. L’entrée s’articule autour d’un système de portes coulissantes, inspiré des espaces modulables japonais. L’architecte rabattait telle ou telle cloison selon qu’il souhaitait ouvrir son atelier au public ou non. Quelle ingéniosité ! Et ce n’est que le début ! À ces emboîtements répondent d’autres merveilles. Le radiateur au pied des marches liminaires ressemble à une colonne de CDs avec autant de compartiments que d’ailettes. La rampe d’escaliers commence à la septième marche, contribuant ainsi à une impression de grandeur. Premier palier : des lampes ont été greffées aux quatre coins d’une armoire. La salle-à-manger oscille entre bois « nobles », mosaïques et métaux ; car le paradoxe de l’Art Nouveau, réside dans l’utilisation de matériaux issus de l’industrialisation qu’il combat. En plus d’être révolutionnaires, la plupart des ferronneries se veulent ergonomiques. C’est le cas des poignées de portes épousant parfaitement les paumes de mains. Parmi les motifs récurrents, on rencontre des fleurs de chardon, des coquilles d’escargot, des ailes de libellules, de papillons… Or, cette variété de matières et de formes dénonce la rechercher d’un art total. Une recherche quasi scientifique : Horta collectionnait les insectes pour en étudier la silhouette.
Les espèces en question reposent aujourd’hui au sous-sol, ancien atelier de l’architecte. Breaking news : la cuisine située au même niveau, devrait être prochainement restaurée dans son jus (c’est le cas de le dire). Quant à la boutique, la caisse et au vestiaire, ils devraient être transférés dans l’immeuble voisin, que vient de racheter l’Etat.
De la rue américaine, on passe désormais à la rue africaine. Devant l’Eglise de la Trinité, se dresse un autre immeuble du genre. Sur la façade, en bas à droite, une signature, celle de l’architecte Benjamin De Lestré de Fabribeckers. La géométrie des fenêtres annonce l’Art Déco. Le glissement entre les deux styles s’opère doucement, mais sûrement. On continue tout droit pour rejoindre la rue du Bailli. Au numéro 75, la pâtisserie du même nom, ou presque, Debailleul, se pose également comme un modèle d’Art Nouveau. Les pâtisseries exposées n’ont d’égal que les vitraux conservés dans l’arrière-boutique. On se régale les yeux et, bientôt, le ventre. Comment faire l’impasse sur une gaufre belge ? Et dire que les bonbonnières sont d’époques.
La promenade se poursuit devant l’hôtel Ciamberlani, conçu par Paul Hankar, en 1897. L’occasion de rentrer dans les détails. Outre qu’elle représente sept des douze travaux d’Hercule, la façade examinée témoigne d’un renouveau du sgrafitte au XIXe siècle, technique employée à la Renaissance pour colorer des gravures. Au-delà de motifs végétaux, l’Art Nouveau tend vers une esthétique organique. La comparaison avec la bâtisse adjacente permet de faire le distinguo un bow-window et une logette. Il s’agit dans les deux cas de verrières saillantes. A ceci près que l’une se fond davantage dans l’achitecture que l’autre. A une extension, un prolongement subtils de la pierre s’opposent un placage, un ajout visibles.
S’ensuit le repérage des hôtels particuliers Tassel – la toute première fondation Art Nouveau de Victor Horta -, et Solvay, respectivement sis rue Paul Emile Janson et avenue Louise. Virage à gauche, vers la place Flageay, où se succèdent enfin des paradigmes d’Art Déco. Le style s’épure, les angles droits signent leur grand retour dans le paysage urbain. On longe l’avenue du Général de Gaulle. Au milieu, se dresse une sorte de tonneau géant. D’où le surnom donné à l’immeuble en question. Sur l’autre rive des étangs d’Ixelles, l’ancienne Maison de la Radio, transformée en centre culturel audiovisuel, évoque un énorme paquebot. Au numéro 36-37 se tient « La Cascade » une bâtisse immaculée dont les courbes rappellent le mouvement des vagues. Au bout de la rue, enfin, deux immeubles rose bonbon se font face. Ils appartiennent à la société Etrimo, à l’origine de nombreux immeubles Art Déco dans Bruxelles à la fin des années 1930.
Changement radical de décor. On traverse une abbaye cistercienne, avant de regagner The Hotel, dont le nom souligne d’emblée la singularité. Il est 16 heures passées, soit encore temps de boire un thé. Un parfum aux accents vanillés embaume le lobby. Il ne faut pas compter retrouver cette fragrance ailleurs. Elle l’a spécialement conçue pour l’établissement. A cette signature odorante, se conjugue un éclairage volontairement tamisé. Ainsi les voyageurs se voient d’autant plus surpris face à la clarté de leur chambre toute de blanc décorée. Comme quoi il fait plus beau à Bruxelles qu’on ne le croit.