La Death Valley, survivante et irréelle
Un désert aux paysages irréels, une ville fantôme héritée du Far West, et Las Vegas, cette magique anomalie urbaine. Plongée au cœur du Nevada, dans la Vallée de la Mort.
Article publié sur Atlantico.fr le 18 avril 2015
« Bienvenue dans la vallée de la Mort ». C’est la première chose qu’on lit – en anglais -, à l’entrée de ce célèbre parc national américain. Pas très rassurant. Et pourtant, c’est une excursion sans commune mesure qui attend les visiteurs les plus intrépides. Non qu’il soit question de pratiquer des sports dits extrêmes en ce site californien, mais entre le cratère Ubehebe, la Racetrack Playa, la ville fantôme de Rhyolite, le Badwater Basin, l‘Artists Palette, le Zabriskie Point, et la Dantes View, on sait, de source sûre, que l’ambiance ne sera pas si mortelle que cela.
Qui aurait l’idée de s’installer dans cette immensité désertique ? Albert Johnson, avant la Grande Dépression américaine. Après avoir visité le ranch de ce riche assureur « chicagoan », on plonge tête baissée dans la nature. À commencer par le cratère Ubehebe. Cet énorme affaissement de terrain surprend tant par sa profondeur – entre 150 et 237 mètres -, son âge – 7000 ans -, que sa couleur. Plus on s’éloigne du centre, plus les couches de sédiments sont claires.
Ce subtil dégradé fait écho à l’arc-en-ciel géologique qu’est l’Artist’s Palette, plus au sud. Cette œuvre d’art naturelle est due à l’oxydation de divers métaux, parmi lesquels le fer, à l’origine des teintes rouges, roses et jaunes. Quant au mica (de la famille des silicates), il est responsable du vert ; et le manganèse, du violet. Cette déclinaison chromatique est d’autant plus visible que plaquée – on est presque tenté de dire placardée – sur le fond noir des montagnes qui dominent la vallée. Surréaliste !
Ladite chaîne de montagnes inclut le site de Dantes View qui, comme son nom le suggère, offre un panorama renversant sur la partie centrale de la Vallée de la Mort, et ses vastes étendues salines. Du haut de ses 1 677 mètres, on aperçoit également le bassin de Badwater, prochaine étape après la Racetrack Playa, où l’on se rend via une route de terre et de gravier, favorable aux crevaisons. Arrivé sans une égratignure à destination, on peut s’extasier à loisir sur cet ancien fond lacustre tapissé de pierres nomades. D’où son nom Racetrack (qui signifie circuit, en anglais), comme si les roches faisaient la course. Sachant que certaines mettent des mois, voire des années à bouger ne serait-ce que d’un millimètre, il s’agit probablement de la compétition la plus longue du monde. Peu importe tant que l’on reste au premier rang.
On reprend la route vers le nord et Zabriskie Point, qui doit également sa réputation à son aspect bariolé. À ce titre, c’est l’un des paysages les plus photographiés de la Death Valley. Baptisé du nom de l’ancien directeur de la Pacific Coast Borax Company, Christian Brevoort Zabriskie, on aurait bien mis un « s » à la fin. En effet, la moindre taille de certains aplats donnent l’impression d’une composition par juxtaposition de points colorés. L’association de turquoise de violet et d’ocre, à d’autres endroits, évoquent des imprimés de tissus à la mode. Dire qu’il s’agit de pierres teintées sous l’effet du temps, de l’érosion, et du vent.
De ce kaléidoscope rocheux, on passe à la ville fantôme de Rhyolite, dans le Nevada. Changement d’état ! Nulle âme qui vive. Située à proximité d’un gisement aurifère (50 mines au total dans les environs), cette cité, fondée en août 1904, a connu un essor fulgurant au début du XXe siècle : de 500 habitants en 1905, sa population s’élevait à 3500, en 1907, puis 8 000, en 1908. L’agglomération comptait alors trois lignes de chemin de fer, un réseau de lignes téléphoniques, une poignée d’hôtels, des restaurants, des magasins, des banques, des salles de spectacles, une cinquantaine de saloons, deux hôpitaux, trois agences de presse, une prison, une école, deux églises, ainsi que des courts de tennis, et même une piscine. Du jour au lendemain, plus personne. Les habitants ont soudainement déserté les lieux.
On est en plein Far West. La plupart des bâtiments en ciment sont parfaitement conservés, bien qu’à toits ouverts. On a parfois du mal à s’avouer seuls au monde. Il doit bien avoir une boutique de souvenirs, un saloon où cohabiteraient vendeurs et mannequins en cire. Non, rien de tel. Pour les reconstitutions d’époques ou de lieux, c’est à Las Vegas qu’il faut aller.
La dernière étape toute tracée, on s’envole pour la ville que l’on surnomme communément le « Disneyland des adultes ». Le retour à la civilisation s’opère dans l’excès. On s’engage à tâtons dans le Strip. Cette grande artère jalonnée d’hôtels a importé les monuments les plus emblématiques de chaque pays, si bien qu’on éprouve l’étrange sensation d’un tour du monde en accéléré. Avec ses canaux, ses gondoles et ses ponts, le Venetian reproduit l’atmosphère d’une promenade romantique à Venise. Le Bellagio s’illustre, quant à lui, par ses fontaines, héroïnes d’un spectacle programmé toutes les trente minutes. Le Luxor arbore la forme d’une pyramide égyptienne. Le (faux) volcan du Mirage crachote tous les jours à partir de 19h, heure à laquelle on risque de se réveiller le lendemain si l’on passe la nuit au(x) casino(s). Comment résister à cette débauche de machines à sous ? En pensant à l’escale suivante, San Francisco !